K-Le-Doux est issu d’une grande famille. Grande par le nombre de membres comme par le prestige. Les rangs de ses frères et sœurs, surtout de sa demi-fratrie, sont denses. Son père D.G a multiplié les mariages, épousé plusieurs filles et ouvert autant de portes. Il était riche d’un bétail abondant. Il possédait des camélidés, des bovins, des ovins et des caprins. Il avait des ânes. Allah ne lui avait point compté les bestiaux, comme disent les pasteurs nomades du cru. Il en imposait aussi par ses qualités intrinsèques : vive intelligence, grande sagesse, sens aigu de l’hospitalité, bravoure…
Il était particulièrement réputé pour certains dons qui le rendaient capable d’exploits rares. Il pouvait déjouer à distance des razzias sur son capital animal, neutraliser des agissements hostiles visant les siens, pressentir des entreprises malveillantes… Autant de capacités qui laissaient pantois ses contemporains. Mais ce n’était point le genre à abuser de ses prodigieux pouvoirs. Il n’en usait que peu. Il n’y recourait que lorsqu’il n’en avait point le choix, par exemple en cas de légitime défense, et jamais sans retenue. Il était conscient de l’efficacité redoutable de ses secrets et des risques d’un usage réflexe. Au point de penser que c’était une arme trop dure à manier pour être transmise à sa descendance. « Vous risqueriez de nuire à autrui avec ça », avait-il coutume de dire à sa progéniture.
D.G était donc quelqu’un, un grand pasteur nomade, une figure reconnue et respectée. Son nom avait parcouru le pays d’est en ouest, traversé puits et pâturages, atteint de lointaines contrées. Beaucoup le connaissaient sans l‘avoir jamais vu.
Pour autant, sa célébrité n’entamait pas son humilité. Il ne recherchait ni les éloges, ni les préséances. Il trouvait son bonheur sans empiéter sur celui des autres. ‘’D.G est de construction équilibrée’’, disait-on de lui. La formule ne lui déplaisait point car elle portait une vérité première : elle le ramenait à de justes proportions, à sa finitude d’être borné par un début et une fin, à son humanité indépassable.
Il est un fait, parmi ceux peu ordinaires à lui attribués, qui mérite d’être ici raconté. C’est un fait fondateur, celui qui lui ouvre les portes de l’extraordinaire. Un jour, comme cela arrivait en son temps, et arrive parfois aujourd’hui, son bétailsubit une attaque. Ce sont les dromadaires, les plus prisés du cheptel local, qui sont visés. Tout un troupeau en transhumance est pris de force. Il disparaît dans les profondeurs de la savane. Ses trois jeunes gardiens, tous fils de D.G, sont battus et chassés par les assaillants en surnombre.
La mauvaise nouvelle parvient au propriétaire sans messager. Puis, les garçons regagnent le campement familial, châle sur la tête, signe de la défaite. Ils lui confirment ce qui survient.
Flegmatique, D.G calme les esprits, suggérant que cela n’est point un drame et que tout va rentrer dans l’ordre. Il laisse beaucoup sceptiques. Comment croire qu’un troupeau disparu dans les circonstances que l’on sait, tombé aux mains d’assaillants avides de lait et de viande frais, puisse s’en sortir sans réaction rapide et musclée de la part de qui de droit ? Comment est-ce possible de le délivrer sans quelque rude et sanglante bataille ? Les interrogations fusent.
A suivre.