Alors que Djibouti célébrait hier sa Journée nationale de la bonne gouvernance en lançant une nouvelle Charte d’engagement pour ses Entreprises et Établissements Publics (EEP), une question fondamentale hante l’air : le Président Ismaïl Omar Guelleh peut-il réellement incarner et mener à bien ces réformes ? La réponse, pour ses détracteurs et au vu de son parcours, pointe vers un échec inévitable, directement lié à sa personnalité.
Le récent fiasco du Fonds Souverain de Djibouti (FSD), dissous en avril 2025 après seulement cinq ans d’existence pour n’avoir pas su atteindre ses objectifs dans une opacité quasi totale, illustre cruellement ce scepticisme. Comment, dès lors, croire en la sincérité d’une réforme de la transparence quand les fondements du système sont perçus comme entachés par un leadership dont l’intégrité est remise en question ?
Un manque de volonté politique
Au cœur du problème se trouve l’absence perçue d’une volonté politique véritablement engagée. Une réforme de bonne gouvernance, par essence, ne se limite pas à des textes ; c’est un engagement profond à changer les pratiques. Si le chef de l’État est vu comme agissant sans scrupules, privilégiant ses intérêts personnels ou claniques, la Charte d’engagement et les décrets ne deviennent alors que des paravents, jamais des leviers de transformation réelle. L’incapacité à réformer ne vient pas d’un manque de compétence technique, mais d’une résistance intrinsèque au changement de la part de ceux qui bénéficient du statu quo. Comme dit le proverbe : « Chassez le naturel, il revient au galop. »
La corrosion de la confiance et le cynisme généralisé
Une personnalité à la tête de l’État dont le bilan est marqué par des échecs répétés et dont l’honnêteté est contestée, crée un climat de méfiance profonde à tous les niveaux de l’administration. Les fonctionnaires, qu’ils soient honnêtes ou opportunistes, ne croient plus à la sincérité des réformes. Les premiers se sentent démotivés et impuissants face à un système qui ne valorise pas l’intégrité. Les seconds continuent d’exploiter les failles, sachant que le sommet ne les sanctionnera pas réellement, voire les encouragera implicitement. La confiance est la monnaie de la bonne gouvernance ; sans elle, aucune réforme ne peut s’ancrer durablement.
Des réseaux de pouvoir inviolables
L’incapacité à instaurer une bonne gouvernance est également alimentée par la nature même du pouvoir de Guelleh. Une direction qui favorise les liens personnels et un contrôle absolu ne peut, par définition, démanteler les réseaux népotiques et clientélistes. Au contraire, ces réformes risquent d’être instrumentalisées pour réaffirmer le pouvoir des proches, en éliminant d’éventuels rivaux ou en légitimant de nouvelles attributions via des processus « réformés » en apparence. Le système de gouvernance clanique, avec des personnalités comme Djama Ali Guelleh et Aboubaker Omar Hadi aux commandes de l’EDD et de l’APZF, perdurerait alors sous un vernis de légalité renouvelée.

L’impunité comme règle
Enfin, un historique d’échecs de gouvernance sans réelle reddition de comptes nourrit un cycle d’impunité. Lorsque les responsables des défaillances passées, y compris celles du Fonds Souverain, ne sont pas tenus pour responsables de leurs actes, il n’existe aucune incitation à changer les comportements. Une personnalité perçue comme « sans scrupules » ne permettrait pas l’instauration de mécanismes de contrôle véritablement indépendants ou de sanctions impartiales qui pourraient un jour se retourner contre elle ou son cercle rapproché. Les nouvelles règles de bonne gouvernance sont ainsi vidées de leur substance, car l’absence de redevabilité au sommet signifie que personne ne sera réellement sanctionné en cas de non-respect, quel que soit le texte.
En somme, l’ambition de bonne gouvernance à Djibouti se heurte à une contradiction fondamentale. Si la personnalité du Président Guelleh est celle d’un homme dont l’intégrité et le bilan sont fortement contestés, les conditions essentielles à la réussite de ces réformes ne peuvent tout simplement pas être réunies. Le fossé entre les proclamations officielles et la réalité des pratiques de pouvoir menace de transformer la Charte d’engagement en un simple vœu pieux, condamnant les EEP à rester des instruments politiques plutôt que de véritables moteurs de développement.