« On ne change pas un âne en cheval de course », dit le proverbe. Le 4 juin 2025, Ismaïl Omar Guelleh, président de Djibouti depuis 1999, a dévoilé une réforme visant à instaurer une gouvernance exemplaire des entreprises et établissements publics (EEP), promettant de une modernisation de l’économie nationae. Mais cette initiative sent le réchauffé, portée par un dirigeant accusé de duplicité. En 2023, il avait juré au nom d’Allah – serment sacré en Islam – de ne pas se représenter. Son silence sur cette question dans une interview à « Jeune Afrique » en mai 2025 trahit un mensonge éhonté, confortant l’image d’un homme à qui l’on ne peut se fier d’un iota.

Taxé d’autocrate, Guelleh est critiqué pour des élections truquées (97,44 % en 2021), des atteintes aux libertés (Freedom House) et une gouvernance gangrénée par la corruption et le népotisme. Des câbles de WikiLeaks dépeignent Djibouti comme un fief commercial au profit de la famille présidentielle et de ses proches. Malgré une croissance économique, la misère ronge la jeunesse, minée par le chômage. Le scandale du Fonds Souverain de Djibouti (FSD), dissous en avril 2025, attise les soupçons : des milliards auraient été détournés, selon l’opposant Daher Ahmed Farah, vidant les caisses des EEP.
Le scénario probable de cette réforme est sombre. Les EEP, comme l’Autorité des Ports et des Zones Franches ou le chemin de fer Djibouti-Éthiopie, deviendront des foyers de corruption. Les contrats, par exemple pour moderniser le port de Doraleh ou étendre la zone franche, seront attribués à des entreprises liées à la famille présidentielle ou à des partenaires étrangers sans appels d’offres transparents. Les conseils d’administration seront noyautés par des proches de Guelleh et de la Première Dame, privilégiant les intérêts politiques à l’efficacité. La Structure d’Évaluation de la Gouvernance des EEP (SEGE), censée superviser, n’aura aucune indépendance, à l’image de l’Inspection Générale d’État. Les rapports d’audit, dictés aux auditeurs sous pression politique, masqueront les irrégularités.
Formé à la sécurité, Guelleh manque cruellement de compétences techniques. Son autoritarisme étouffe la transparence, et l’absence d’institutions indépendantes, conjuguée à la défiance de la société civile, rend ce projet fumeux. Incapable d’instaurer des organes de contrôle autonomes, de recruter des gestionnaires compétents ou d’impliquer l’opposition, Guelleh agit à l’encontre de ses promesses. Loin d’insuffler l’espoir, cette réforme s’apparente à une razzia d’un régime à l’agonie, cherchant à siphonner les dernières ressources des EEP avant de tirer sa révérence. Dans un Djibouti asphyxié par la corruption, l’espoir d’une gouvernance équitable s’éteint sous un pouvoir vacillant.
Jibril Gooni