Ce 27 juin, Djibouti célèbre les 48 ans de son indépendance dans un climat de contradictions criantes. Tandis que les cérémonies officielles déroulent leur faste habituel, la réalité du pays, elle, reste marquée par la colère sociale, la défiance diplomatique et la fatigue d’un peuple trop souvent oublié.
D’un côté, le régime glorifie un demi-siècle de souveraineté à travers défilés et discours à la gloire du président Ismaïl Omar Guelleh. De l’autre, une opinion publique s’interroge : que reste-t-il du rêve de 1977 ? Car derrière les banderoles, plane l’ombre d’un sixième mandat que le président semble vouloir imposer en violant une fois de plus la Constitution qu’il avait pourtant juré de défendre.
Dans ce même élan de déconnexion, le gouvernement dépense 27 millions de dollars pour ériger le nouveau siège du ministère de l’Énergie. Une somme colossale dans un pays où la précarité énergétique persiste, et où l’accès à l’eau potable demeure un privilège. Pendant que les élites bâtissent des palais administratifs, la majorité survit sous une chaleur suffocante, sans véritable répit.
Cette canicule extrême, symptôme du dérèglement climatique, touche durement Djibouti, où les températures frôlent des records. Pourtant, la réponse gouvernementale reste timide, voire inexistante, face à cette crise qui affecte déjà la santé publique, l’éducation et les conditions de vie les plus élémentaires.
Par ailleurs, les tensions diplomatiques se multiplient. Les États-Unis viennent d’ajouter Djibouti à une liste noire de 36 pays menacés d’interdiction d’entrée sur leur territoire. Simultanément, des migrants d’Asie et d’Amérique latine sont détenus au Camp Lemonnier en toute discrétion. Le rôle ambigu que joue Djibouti dans ce dispositif soulève de graves questions de souveraineté.
Sur le plan international, la trêve conclue entre l’Iran et Israël soulage, certes, mais reste fragile. Djibouti, carrefour stratégique, n’est pas à l’abri des répercussions géopolitiques de ce conflit suspendu.
En cette date symbolique, La Voix de Djibouti appelle à une lucidité collective. L’indépendance n’est pas un décor, mais une exigence. Plus qu’un anniversaire, ce 27 juin doit être un moment de vérité : celle d’un peuple en quête de justice, de transparence et de dignité retrouvée.
Djibouti, 48 ans après : l’indépendance confisquée ?
Le 27 juin 1977, Djibouti obtenait son indépendance dans une liesse populaire, promettant justice, liberté et souveraineté. Près d’un demi-siècle plus tard, ces idéaux semblent trahis. L’indépendance a-t-elle libéré le peuple ou simplement remplacé un colon étranger par un pouvoir autoritaire local ?
Ce bilan critique s’interroge sur l’absence d’alternance, la confiscation du pouvoir par un clan, la dépendance économique, l’exil massif de la jeunesse et la marginalisation des voix dissidentes. Djibouti a-t-il vraiment brisé ses chaînes ou a-t-il simplement changé de geôlier ?
Une fête d’indépendance aux allures de campagne
Chaque 27 juin, la République célèbre en grande pompe sa souveraineté. Pourtant, cette année, les festivités revêtent un parfum particulier : elles sonnent comme le lancement officieux d’une campagne pour un sixième mandat présidentiel, en violation flagrante de la Constitution que le chef de l’État avait pourtant juré de défendre.
Les cérémonies ne célèbrent plus l’unité nationale, mais glorifient un homme. Alors que les discours officiels multiplient les hommages au « bâtisseur de la nation », la majorité des citoyens vit dans la précarité. En désignant la France ou la diaspora comme boucs émissaires, le pouvoir détourne l’attention de ses propres échecs.
Dérive autoritaire : la démocratie vidée de sa substance
L’indépendance devait ouvrir la voie à une gouvernance démocratique. Mais depuis 1999, un seul homme détient le pouvoir, reconduit sans discontinuer grâce à des élections verrouillées. La suppression de la limitation des mandats en 2010 a signé la fin de toute alternance.
Aujourd’hui, la perspective d’un sixième mandat marque un nouveau cap dans l’usure du cadre républicain. Le Parlement ne délibère plus, la justice suit les consignes, la presse est domestiquée. Toute voix dissidente est étouffée.
Malgré les discours de souveraineté, les appuis extérieurs – notamment la Françafrique – demeurent, alimentant une stabilité de façade au détriment du pluralisme.
Croissance confisquée, développement en panne
Sur le papier, Djibouti affiche une croissance soutenue, avec 6,7 % de hausse du PIB en 2023. Mais cette performance macroéconomique ne profite qu’à une minorité bien connectée.
Le pays reste très endetté (76 % du PIB), les inégalités explosent (indice de Gini à 41,6), et la pauvreté touche 39 % de la population. Le chômage, particulièrement chez les jeunes, atteint des sommets.
Les grandes infrastructures servent d’abord des intérêts privés des proches du pouvoir, tandis que l’État peine à garantir l’accès aux services de base. Le développement est réel mais profondément inégalitaire
Une jeunesse en rupture, prête à tout quitter
Privée d’horizons, la jeunesse n’a souvent qu’un seul rêve : partir. Le système éducatif est dégradé, l’emploi est rare, le mérite sans valeur. Pour beaucoup, l’exil apparaît comme le seul espoir.
Des centaines de jeunes quittent chaque année leur terre natale, souvent vers l’Europe, parfois au péril de leur vie. Ironie amère : les descendants des artisans de l’indépendance cherchent refuge dans les pays colonisateurs d’hier.
L’exode massif des jeunes est un indicateur accablant de l’échec du modèle en place. Une société dont la jeunesse fuit est une société en sursis.
Une diaspora diabolisée mais vitale pour les familles djiboutiennes
La diaspora djiboutienne, active en Europe, regorge de compétences. Pourtant, au lieu de la valoriser, le régime la marginalise. Des figures comme Hassan Elmi Khaireh ou Mohamed Houfaneh vivent à l’étranger, empêchés de rentrer. D’autres sont arrêtés dès leur descente d’avion puis refoulés.
Malgré cela, les transferts de fonds de la diaspora sont vitaux et permettent à de nombreuses familles de survivre.
Plutôt que de dialoguer avec ces voix critiques, le pouvoir les réduit au silence, refusant toute remise en cause. Un gaspillage humain et politique aux conséquences durables.
Une paix imposée, une liberté bâillonnée
Depuis les accords de paix avec le FRUD en 2001, Djibouti n’a connu ni guerre ni soulèvement majeur. Pourtant, cette paix est trompeuse. Elle repose sur la présence étrangère, non sur un consensus démocratique.
La répression reste active : arrestations d’opposants, interdiction de manifestations, surveillance des citoyens. L’espace public est verrouillé.
La stabilité dont se targue le régime est un équilibre précaire, maintenu par la peur plus que par l’adhésion. Dans un tel climat, la moindre étincelle pourrait rallumer les braises du mécontentement populaire.
Conclusion : une indépendance à relancer
Le drapeau flotte et l’hymne national résonne, mais derrière ces symboles, la réalité est autrement plus sombre. Djibouti est marqué par une démocratie cadenassée, une économie accaparée, une société divisée, une jeunesse en fuite.
Faire ce constat n’est pas renier l’indépendance, c’est au contraire la revendiquer pleinement. Comme le rappelait Thomas Sankara, « l’esclave qui n’assume pas sa révolte ne mérite pas qu’on s’apitoie sur son sort ».
Tant que le peuple ne pourra pas choisir librement ses dirigeants et construire un avenir digne, l’indépendance restera inachevée. Il est temps de passer d’une commémoration figée à une reconquête citoyenne.