Alors que la République de Djibouti célèbre ce 27 juin le 48e anniversaire de son indépendance, un événement vient ternir la solennité de cette journée : l’inauguration fastueuse du nouveau siège du ministère de l’Énergie. Coût de l’opération : 27 millions de dollars, intégralement prélevés sur le budget de l’État.
Implanté sur l’ancien site de la gare du Plateau du Serpent, ce complexe ministériel flambant neuf est doté d’amphithéâtres, de salles de conférence dernier cri et de bureaux luxueux. Pour de nombreux Djiboutiens, ce projet représente tout sauf une avancée. Il symbolise, au contraire, l’arrogance d’un pouvoir qui érige son prestige en priorité nationale, tandis que les urgences sociales, économiques et sanitaires restent sans réponse.
Derrière cette initiative se dessine la main de Guelleh, dont les choix budgétaires confirment une tendance constante : celle de servir son image et ses intérêts, avant de penser à ceux de la population. Dans un pays où le chômage des jeunes dépasse les 70 % et où près de 40 % des citoyens vivent sous le seuil de pauvreté, consacrer une telle somme à un bâtiment administratif relève d’un mépris assumé.
Le contraste est d’autant plus frappant que, quelques jours avant cette inauguration, le ministre de l’Économie recevait un appui financier externe : une enveloppe de 3,8 millions d’euros, financée conjointement par l’Union européenne et l’Agence française de développement, destinée au programme UE-Jeunesse Djibouti, censé soutenir l’emploi et l’insertion des jeunes. L’argent existe, donc, mais lorsqu’il s’agit des fonds publics, Guelleh choisit le marbre plutôt que l’humain, les dorures plutôt que l’avenir.
Le scandale prend une dimension encore plus préoccupante quand on le met en regard des priorités que le régime affirme porter : développement économique durable, sécurité alimentaire et gouvernance transparente.
Sur le plan économique, cet investissement ne crée ni emploi massif, ni infrastructures productives. Il ne soutient ni les PME, ni les jeunes entrepreneurs, ni les zones rurales. Ce n’est pas un projet de développement ; c’est une vitrine.
Sur le plan de la sécurité alimentaire, le décalage est tout aussi flagrant. Alors que des milliers de familles peinent à se nourrir correctement et que l’accès à l’eau potable demeure insuffisant dans de nombreuses régions, aucun centime de ces 27 millions de dollars n’a été alloué à l’agriculture, à l’irrigation ou aux infrastructures rurales. Rien n’a été investi pour renforcer la résilience alimentaire du pays ni pour répondre aux besoins vitaux des populations vulnérables.
Quant à la gouvernance, l’opacité du projet est flagrante : aucune consultation citoyenne, aucune transparence sur les appels d’offres, aucune justification publique sur le coût réel. Le chantier, confié à l’entreprise chinoise CCCC, a largement profité à des sous-traitants proches du régime. Loin de renforcer la gestion publique, cette opération alimente les soupçons de clientélisme et de corruption.
Alors que le pays célèbre son indépendance, cette dépense luxueuse agit comme un révélateur brutal : si le drapeau flotte toujours, les promesses de 1977, elles, restent trahies. Ce projet n’est pas une avancée nationale, mais une démonstration de pouvoir. Guelleh ne bâtit pas pour les citoyens, mais pour sa propre image. Tandis que la population attend des réponses concrètes, le régime aligne les façades. Et derrière ces murs, c’est tout un peuple qui reste relégué hors des priorités.