D.G continue de vaquer à ses occupations, comme si de rien n’était. Tombe la nuit. Il la passe paisiblement, sans le moindre signe de nervosité, dans son coin de chef de campement.
Tôt le lendemain, après avoir ouvert la bouche sur un bol de lait de brebis, pour reprendre une expression du cru, il ordonne à ceux de ses fils préposés à la garde chamelière de se préparer à partir. Partir, non pour délivrer par la force le troupeau, mais juste pour le reprendre des mains consentantes des razzieurs. Mais comment ?
Ils marchent, marchent. Ils avalent des kilomètres à travers pâturages et prédateurs à l’affût. Ils passent la nuit auprès d’un campement qu’ils repèrent en chemin. Point besoin de connaître leurs hôtes pour bénéficier de leur hospitalité. Accueillir un voyageur ou une voyageuse, si l’on vient à se trouver sur son passage, est une obligation que la tradition impose à tout pasteur nomade.
Lorsqu’ils parviennent en vue du bétail, sans avoir à suivre des traces ni à se renseigner chemin faisant, D.G et ses fils découvrent un spectacle qui laisse ceux-ci cois de surprise. Le troupeau est là, intact et compact. Il s’est cabré, se plaçant en état d’insoumission. C’est patent : il refuse fermement d’avancer, contraignant ses voleurs à suspendre la progression vers leur contrée. Lesquels, la mine défaite, sont assis à même le sol, interloqués et épuisés. Ils mangent, et c’est la seule perte subie par le bétail, les restes d’un chamelonqu’ils ont péniblement abattu pour apaiser leur faim. Le troupeau ne s’est même pas laissé traire.
Le regard des razzieurs est obsédé par un oiseau qui tournoie au-dessus des dromadaires. Il émet de petits cris auxquels les bêtes tendent l’oreille. Il a tout l’air de communiquer avec elles. Qui est-il ? Que leur dit-il ? Mystère.
L’on apprendra plus tard, de la bouche même des voleurs à main violente, que le troupeau s’est immobilisé, buté, dès l’apparition de cet étrange oiseau. Ils ont vivement réagi et engagé l’épreuve de force. Ils ont essayé de le chasser avec toutes sortes de projectiles. En vain. Il s’est montré trop fort, triomphant de leurs assauts. Abandon s’en est suivi.
Dès le salamalec de D.G, les razzieurs, tout confus, se répandent en excuses. Ils lui demandent pardon, implorent son indulgence. Ils lui promettent même un chamelon en réparation du sien. «Nous nous sommes frottés à plus fort que nous, avouent-ils. Nous avons provoqué un homme doué de pouvoirs ».
Magnanime, D.G leur pardonne sur le champ. Il leur fait grâce de la réparation du chamelon. Il les engage seulement à cesser leurs agissements contre les biens d’autrui.
Départ subreptice de l’oiseau justicier. Fin de la rébellion du troupeau, qui repart avec son propriétaire. La situation revient à la normale.
De la sorte, se dénoue, sans coup férir, une affaire qui éclate pourtant avec tous les ingrédients du bain de sang. A moins de quarante ans, D.G se hisse au rang des êtres qui étonnent.
Cet homme peu banal est le fils d’un orphelin de père, G, qui a dû passer son enfance loin de son pays. La mère de G, Ra, qui n’avait que lui à la mort prématurée de son père Ro, avait, son fils sur le dos, fui la cupidité de certains frères du défunt. Ils avaient dépouillé l’orphelin du capital animal de son père.
K-Le-Doux est donc l’un des nombreux fils de D.G. Il est issu de sa dernière porte. Et sa vie est marquée du sceau de la bonté.
A suivre